(texte de Serge Largot)

Préliminaires

Le hasard arrange bien les choses. Après tant d’années, faisant suite à la naissance d’Artension, me voilà que je retourne à ce début en renouant le contact avec la rédaction… de plus dans une période où je peux enfin décider de mon come-back dans la peinture-peinture, voilà que le retour de l’abstraction s’annonce. Mon épouse fut effrayée en feuilletant le n° 127, mais je l’ai convaincue de BIEN lire les articles et de remercier l’équipe d’Artension pour toute cette information et pour tous ces documents. Sans Artension nous n’aurions jamais été au courant de ces aberrations dont Artension nous informe… aberrations qui apparemment sont hautement appréciées et monnayées par les éminents et richissimes collectionneurs… et qu’aussi nous pouvons constater que ces attitudes sont très souvent celles des autorités culturelles. Bref, Artension n° 127 nous montre un point de non retour dans l’évolution de ce qu’on appelle le contemporanéisme (AC) (et ses alternatives). Faut-il une remise en question ou faut-il continuer à occulter certains « oublis » dans l’art ? Faut-il en rester là où nous sommes… en s’agenouillant devant l’omnipotence «stratégie médiatique grossière destinée à compenser l’indigence flagrante de leur contenu artistique», (Souchaud). Sommes-nous vraiment obligés de croire à ce genre d’art compensant la maladie mentale et/ou cette manifestation d’un érotisme pornographique criminellement crapuleux, ET, que CELA restera le nec plus ultra de l’art? Non !  ce n’est plus l’art brut qui montre encore sainement jusqu’où on peut aller dans la profondeur de la conscience sans qu’à ce niveau on soit devenu vraiment malade. Non ce n’est PAS non plus cet érotisme enivrant qui peut être parfois une question sublime. C’est tout simplement crapuleux et criminel…

AUTRE question : en ce qui concerne la censure: n’oublions pas de constater la différence de la « différence ». Oublier d’une part ; la différence entre « troubler » et être « crapuleusement indécent » dans un témoignage émergeant d’une contestation de situations malsaines (p.ex. dans le système), et, d’autre part, condamner ceux qui se trouvent choqués par cette indécence… Ne pas constater la différence est renforcer le pouvoir de l’influence nocive du malsain et censurer tous ceux qui tiennent à la lutte POUR la beauté (quand même !). Cette lutte « POUR » implique en soi – sans devoir y mettre un accent – le jugement à propos du contraire ; donc c’est lutter « CONTRE » à deux fois, mais simplement lutter contre est finalement se vouer à la schizophrénie des magnétismes rendant malade parce que « entre le oui et le non la tête se détache de son corps » (proverbe Soufi) et tout de suite on est déphasé voir détraqué, on n’est plus dans la possibilité de voir la différence de la «différence», ce dérèglement du chef devient TRES clair dans la suite des démarches casuistiques ou technocratiques… et voici que ça amène toutes les malfonctions et les malentendus; soit cette totale impotence du « Principe de Peter ». MAIS : lutter « POUR» implique en soi le jugement de ce qui est le contraire et ce jugement provoque des réactions « CONTRE » et crée des égrégores de récalcitrance, ces mayas tissés de cet hubris de la compréhension dégondée et voilà qu’on échappe pas à ce « entre le oui et le non » on n’échappera donc pas à la schizophrénie? réponse… : si l’homme reste malgré tout lucide et digne, ce choc du dérèglement …(entropie) le projettera d’office directement (Huang Po) au travers du miroir des reflets de la soi-disant réalité… Il atteindra donc d’autant plus, de façon évidente, cet état du vide fertile pour permettre à la figuration autre d’apparaître comme porteuse de la magie des fables d’autrefois. Ainsi l’homme comprendra d’autant mieux la différence entre « voir » (illumination) et « croire voir » (hallucination). Hallucinations… ces mayas, ces "analyses" du mental technocratique et du calcul des probabilités ont toujours le gain en premier lieu – ce mental porté par des procédures d’usurpation à propos des accords et des entendements de méthodes c.à.d. le «comment» au détriment du «à propos de quoi» – ne rejoignant plus les synthèses universelles ou l’intuition originelle (c.à.d. la révélation, bref la vérité toute nue). Les "analyses incrowd" sont des artifices dont il faut se méfier, ce ne sont que des simulacres de l’ordre de l’actualithéisme dirigé par le monétarisme. Bref : Artension n° 127 nous montre un point de non-retour, maintenant la situation est claire en ce qui concerne l’avenir au niveau du fait de l’indépassable de la remise en question. Il est également très relevant qu’au niveau du numéro hors série Artension « L’art abstrait » que cette lutte POUR inaugurera une grande période historique dans laquelle on espère un échange d’idées profondes, et un grand changement dans le domaine des beaux arts. Sinon les exégètes des beaux-arts seront désormais davantage moins crédibles. On note d’ailleurs qu’il y a une collaboration entre « Artension » et « Réalité Nouvelles ». Cela est très indicatif pour tous ceux qui connaissent le passé des deux… au niveau du choix qu’ils ont défendu.

Et, maintenant, voici le texte au sujet de cette question du grand changement.

Une approche autre

Dans l’évolution des approches de ce qu’on appelait les beaux-arts, il y eut une période (il y a 30 ans) durant laquelle se propageaient beaucoup de commentaires concernant les parallélismes possibles entre l’imagination créatrice et l’imagination scientifique. « Imagination ? scientifique » ; en effet, ce que les scientifiques annonçaient dans leur monde sub-atomaire (ex. quarks) ne ressemblait plus du tout aux points de vue trop rationnels de la causalité mécanique de leurs collègues d’autrefois. La science plus avancée s’approchait dangereusement 1 du monde des valeurs de l’imagination. Bien que le scientifique Paul Kammerer fut, à cette période, considéré comme persona-non-grata, son nom, sa vie (exemplaire comme une sorte de poète maudit) furent régulièrement cités dans le contexte de l’analyse de la question des parallèles entre l’art et la science, notamment au niveau de la con-substantialité et de ce que Jung appelait la synchronicité ! Comme le titre de cet article l’indique, ce texte répond à des questions quant à la situation mentale (approche autre) du créateur qu’on peut qualifier par exemple d’artiste peintre et/ou de scientifique. MAIS, si quelque chose de l’ordre de la science est cité dans ce texte-ci, ce n’est rien d’autre qu’à titre d’exemple en matière d’une éventuelle possibilité de comparaison entre les beaux-arts et la science bien qu’au fond il va sembler qu’il n’y a pas de comparaison possible.

La manière dont le scientifique actuel se comporte vis à vis de son collègue d’autrefois c.à.d. celui qui optait pour «la causalité mécanique» est cité dans un texte des années 1960 faisant le constat qu’apparemment, l’art, la philosophie et la science "souffraient" des mêmes inquiétudes. Voici le texte de Jean Wahl : (extrait « Le mouvement des idées philosophiques depuis 1900») « Ce que nous pouvons observer à ce sujet, c’est que le savoir contemporain en vient à des problèmes ultimes au sujet desquels il est très difficile de parler (…) mais arrivés à ce point, que pouvons-nous dire, à moins que nous ne recourions, comme Heidegger le fait parfois, au langage poétique ? »

Tout compte fait – bien que ce ne soit pas de bon ton – revenons à Kammerer. Jung a négligemment "emprunté" quelques idées à (son ami) Paul Kammerer qui croyait à la signification des coïncidences et à l’hérédité de l’effort des caractères acquis. Ces deux doctrines prirent au début du 20ième siècle l’allure de l’hérésie. Kammerer suivi par Jung développe son idée centrale qui est : « il existe dans l’univers un principe a-causal qui tend à la complémentarité ». (Ici on rejoint la philosophie Soufi de la coïncidentia- et de la conciliatio oppositorum). Kammerer voyait tout cela (comme il le disait) sous l’aspect cyclique de la sérialité. Mais il réfère aussi à Pythagore. Kammerer sera assassiné (1926) à l’âge de 46 ans et Jung reprend à haute voix la relève (ensemble avec Pauli). Pauli pensait aussi que des facteurs non causals sont à l’œuvre. A l’âge de 50 ans Pauli écrit une étude au sujet du passage de la mystique à la science (tel qu’il «apparaît» dans les idées de Kepler). Jung travaille à son traité de la synchronicité (en somme un autre mot pour complémentarité, mais moins précis). «Principe de connexion A-Causale». Ce traité est rédigé en collaboration avec Pauli et est édité dans le volume de Pauli sur Kepler. Si, d’une part, l’auteur de ce texte-ci a pris note de ce qu’écrit Koestler (Les Racines du hasard - Ed. Calmann-Lévy); d’autre part, feu Docteur Zeylmans van Emichoven, ami de l’auteur du présent texte, fut aussi l’ami de Jung. Zeylmans a donc "parlé" de Jung et de son milieu. Jung – dans des "explications" obscures – essaye une approche déjà moins mécanique. Jung parle de synchronicité et de simultanéité. Le mot simultanéité est pour quelqu’un qui est un vrai peintre, une donnée très familière. Le contraste simultané (Chevreul) concerne, pour lui, le monde de la « numineuse loi » de l’esprit de la couleur (qui paraît-il n’existe pas !) et de la lumière (que, semble-t-il, on ne peut voir)… C’est une loi sans "lois" "une imagination", par laquelle, en la vivant réellement, le peintre (sa peinture non figurative n’a pas besoin de mots) se sent « UN » avec le signifiant vivant et vrai des effuves des galvanismes des co-incidences (le hasard arrange bien les choses c-à-d la coïncidentia oppositorum Soufi) qui produisent le signifié (figuration autre) issu de cette imagination créatrice. Se trouver dans ce UN  «religĕre» signifie pour le peintre la certitude «d’être en chemin» vers la conciliatio oppositorum (Soufi) (c.à.d. la complémentarité observable en toute chose)… Cette vision de la complémentarité est comparable à l’interaction des couleurs qui toujours tendent, par l’effet du contraste simultané (d’une couleur sur l’autre), à exercer – continuellement et dans chaque situation ou cas de couleur – un résultat de complémentarité (d’une couleur vis à vis de l’autre)… et d’augmenter (par effet additif) la valeur-lumière des couleurs. On parle ici de quelque chose de très structuré, c.à.d. de la question «des rapports et des proportions (Pythagore)» loin de tout paradigme d’idées et d’interprétations (souvent que «des hallucinations»). Par contre, Jung et Freud nous mènent vers le domaine des mythes (cf. Pauli-Kepler) qui "seraient" des « guides » de comportement face aux extrêmes de la vie. Ici on est bel et bien dans le domaine psychiatrique des affectations ou des projections humaines (que trop humaines) sans fin en se coinçant entre le oui et le non… ce qui mène à la schizophrénie.

Pour un homme de science se distancier des normes des scientifiques – qui cherchent des bases d’entendement plus solides et deviennent par là trop sceptiques – n’est pas évident. Donc Jung essaie d’expliquer qu’il n’y a PAS DE LIEN ENTRE LE CERVEAU ET L’ESPRIT. Ainsi il court le danger de s’empêtrer de plus en plus dans l’obscur. Afin de pouvoir indiquer l’éventuel lien entre le « numineux-lumineux » de la peinture-peinture (ce monde au-delà de tout aspect verbal) et ce que Jung essaie d’expliquer, citons un passage des textes de Koestler : « Le physicien d’aujourd’hui a beaucoup plus de facilité que le psychologue à sortir des ornières de la causalité de la matière, du temps, de l’espace et des autres catégories traditionnelles de la pensée. Le physicien est formé à voir comme une illusion le monde tel que nos sens le présentent ; le bureau d’ombre d’Eddington recouvert du voile de Maya. Et cela ne l’inquiète guère car il a crée son monde à lui, qui se décrit en une langue belle et vigoureuse, (celle des équations mathématiques) laquelle exprime tout ce qu’il peut espérer connaître de l’univers qui l’entoure. (…) ». J’ajoute personnellement à son texte les mots suivants : c’est ce qui se fait dans la peinture (cf. « ma petite sensation » de Cézanne). Jeans approuve cette approche de la vie en écrivant : « l’histoire de la physique du XXième siècle est celle d’une émancipation progressive par rapport à la simple vision humaine ». A laquelle j’ajoute : l’émancipation c’est sortir du monde de l’illusion (lâcher prise). Si, d’une part, c’est un comportement très lumineux heureux – et très rassurant – d’être arrivé enfin à vivre dans un contexte qui est ou qui ressemble à celui du physicien moderne qui voit comme illusion (un reflet de miroir) le monde connu; d’autre part, concernant les soi-disant lois de la causalité, cette «simple vision humaine» de Jeans nous apprend que – en toute réalité existentielle à propos du lâcher prise – la vie ne peut même PAS se vivre selon le paradigme des mots et des hallucinations suite à des idées et des entendements… parce que chacun essaye de se sentir libre d’avoir ses propres opinions… Il n’y a guère deux personnes qui ont les mêmes "illusions" concernant le monde.

Le lâcher prise devient très vite l’esprit d’émancipation chaotique, qui se développe de plus en plus. Plus cet esprit se développe, plus s’installe le paradigme des malentendus. Il en découle toutes ces mal-fonctions dues à l’incompétence et à l’indifférence.

Dans notre monde (d’un modernisme à outrance) les communes mesures – qui, d’antan, nous ont été données par "les interprétations" aimantes qui découlent de notre comportement vivant vis à vis de la nature, de l’empathie pour la spiritualité, du fervent et fidèle engagement sincère dans l’amour et dans l’acte créateur – sont devenues une gageure désuète. Fable a quitté le paysage qu’il occupait du temps de Novalis, Equivoque Mésentente et Malsayance ont pris sa place. Désormais l’homme se trouve seul, comme un schyzo effrayé en manque, dans cet immense univers abyssal dont l’issue est bouchée par les croassements – de ce malin génie – qui nous expliquent avec des mots dont le sens est technocratiquement enfermé : que plus jamais on ne trouvera à se libérer de la triomphante casuistique de la théorie des restrictions… plus jamais on ne retrouvera ce sens plus pur des mots autrefois donné à la tribu. Quant à l’art, (l’expression humaine par excellence), désormais la psychose est une condition sine qua non de l’art comtemporanéiste. Si on n’est pas psychotique, on est personna non grata dans ce non-art (tel qu’ eux-mêmes le nomme) Par conséquent, s’il ne veut pas risquer l’auto-anéantissemnt, il faut que l’homme puisse à nouveau tendre l’oreille à ce son pur d’antan et il doit retrouver son intellegĕre (voir en dedans des choses) tout comme le scientifique actuel l’a, paraît-il, déjà trouvé (?). De toute façon, le peintre, lui, il s’est déjà habitué à VIVRE dans la lumière de la vibration simultanée (ce n’est pas un contraste) de ses couleurs menant à la complémentarité. Ce peintre (la peinture est sans parole donc sans hallucination) se base sur : ses structurées recherches des proportions, des correspondances, des rapports, qui existent entre les couleurs, la lumière et les présences (anum) des effluves. En effet, son travail ressemble beaucoup à celui d’un compositeur qui doit s’assurer si cette énorme quantité de tons qu’il superpose ne s’obstruent pas. Voici donc des bases d’une vie d’harmonie qui, pour d’aucuns, sembleraient être très éphémères au niveau de l’existentiel… et les explications – au sujet «d’une telle vie, d’une telle œuvre» – très hermétiques. Vivre selon le principe des rapports des nombres, des proportions et des correspondances, est mener une vie loin de toute ambiguïté suite à la situation paradoxale (souvent schizophrénique) du paradigme des mots et des idées hallucinantes de l’extrême de la vie. Le principe (des nombres) (le principe des rapports) est un principe Pythagoricien… et n’est-ce pas lui qui (après avoir étudié l’esprit pharaonique) nous a révélé l’entendement profond (intellegĕre) au sujet des proportions très vivantes de la géométrie élémentaire qui ensuite (à la Renaissance) sont tombées dans le secret et (via la casuistique) dans les abstractions d’algèbre des équations mathématiques sans fin et très souvent sans fond parce qu’essayant de pré-calculer les probabilités. L’évolution basée sur les hallucinations nous a finalement conduit vers «la révolution newtonienne» (18ième) qui, à bonne fin du solide de la tyrannie de l’institué du discours dominant, a fait régner les technocrates en maîtres absolus. Mais; tout compte fait, ce règne n’a pas duré longtemps. Au début du 20ième s. il a été détrôné par la révolution quantique qui cherche (ce que pourrait être) cette éternelle intuition de l’homme concernant la question de l’existence possible d’une «unité dans la diversité». Et voici le guet-apens pour la science. Elle devient héritière du monothéisme. UNité ??! Ceci n’est bien sûr pas l’entendement du peintre qui VIT dans le monde de l’IN-tuition vraie de la complémentarité ! Tel qu’en lui-même il est redevenu androgyne. Il parvient, enfin, à conjuguer l’objectif avec le subjectif et marier Apollon et Dionysos.

Le vrai peintre VIT une vie AUTRE que celle dictée par tout ce qui nous vient du dehors… ce «TOUT-venant» qui tend à se valoriser par l’invention des affabulations grâce auxquelles on peut TOUT prouver en excusant TOUT (la casuistique s’est coagulée dans la technocratie !) Le vrai peintre ne vit pas par cette IN-spiration du tout venant… il vit basé sur son IN-itiation, il vit dans les émanations de l’interaction des effluves de la nature et de sa «spiritualité» (ma « petite sensation » de Cézanne !)… effluves… finalement convertibles l’un avec l’autre, n’étant que des formes coïncidentielles des galvanisme appelées les Dieux. Ce qui se passe sur le "tableau" du peintre vrai est VRAI ! (voici ce qu’est l’imagination CREATRICE). Le peintre vrai, lui, il crée des effluves en soi qui sont co-créatrices de la toute grande création… et puisque sa peinture est abstraite, ces valeurs intrinsèques – désormais non occultées par le monde des sens – (c-à-d le monde qu’on croit voir et sentir, donc, qu’on doit croire) – s’immiscent par «la voie directe» dans le subconscient de l’aimant observateur. Ces effluves sont comparables à la magie de la poésie des fables d’antan, transmission (effluves) de la reconnaissance de soi (celui qui est devenu soi ne peut guère s’adapter à ceux qui n’y sont pas arrivés). Mais, ces effluves rendent possible que l’aimant observateur vit dans ce que lui-même reconnaît comme l’égrégore mirifique des pulsions des antiques fables qui berçaient les cœurs des éternellement jeunes poètes en y semant les plus hautes visions de l’imagination créatrice du CELA (védique) qui ressemble à ce qui est le plus vrai, le plus pur, le plus merveilleux et innommable en l’homme comme c’est le cas de l’amour.

Le peintre, lui, puisqu’il VIT (presque) TOUJOURS dans cette « petite sensation» exerce donc une maïeutique (Socrates) sur l’aimant observateur… de telle sorte que celui-ci se trouve tellement près de cette réalité profondément sentie («Mon esprit doté d’un comprendre sans comprendre» Jean de la Croix) qu’à l’instant même il invente Dieu… ce qui ne peut pas exister… ce qui est innommable… Cet état de non-savoir est merveilleusement analysé dans ce poème de Jean de la Croix : « Je pénétrai où ne savais et je demeurai ne sachant, toute science dépassant » etc (…) L’homme, en inventant Dieu, répond au désir le plus profond de son subconscient (son âme) c.à.d. d’atteindre ses propres limites sans fin, c.à.d. entendre à l’instant même (Huang Po) CELA que l’on ne peut connaître. Par conséquent, cette quête lui est inspirée par ce qu’il y a de plus divin en lui.

Voici ce que Whitehead, déjà en 1934, concernant les effluves, en dit ; « La matière s’est identifiée avec l’énergie, et l’énergie est activité pure… La conception moderne s’exprime en termes d’énergie, d’activité et de différenciations vibratoires de l’espace-temps . Toute agitation locale secoue l’univers entier. Les effets éloignés sont infimes, mais ils existent. Le concept de matière supposait la localisation simple… Mais dans le concept moderne le groupe d’agitations, que nous nommons matière, se fond dans son environnement… et j’ajoute : « et puis dans le tout ». Il n’y a aucune possibilité d’existence détachée et autonome » (tout est en tout… ce monde tel qu’on se le représente via les sens, n’existe pas en soi… "on s’en fait une idée"). A quoi Koestler ajoute : « Dans une perspective plus vaste, le progrès des sciences dans le sens de l’unité fondamentale fournit aussi une analogie à l’unité des pythagoriciens».

Cette unité (religĕre) qui n’en est pas une (il faut trouver un autre mot) peut s’exprimer dans la vie du peintre qui vit dans un état qui transcende les frontières du savoir en général et que l’on peut appeler des émotions transcendantales (le non-savoir mystique). A quoi Koestler conclut : « Les émotions transcendantales sont extrêmement variées (...) mais elles ont un commun dénominateur : le sentiment de participation intégrante à une expérience qui transcende les frontières de l’égo ». A quoi on peut ajouter que – «l’extrêmement varié» de ces émotions – se "figurent" dans l’imagination créatrice (Soufi).

Le peintre traduit ceci dans sa vie de la quête du chef d’œuvre derrière lequel l’attend toujours un chef d’œuvre AUTRE… d’une figuration autre. Le peintre vrai voit «en-dedans des choses» et « jenseits » l’illusion. Sa petite sensation (Cézanne) lui fait « subir » le choc de cette terrifiante «emphase d’empathie avec le TOUT !» (qui est en tout) (ce qui le conduit très souvent à l’état de la folie du choc de l’entropie) mais s’il reste malgré tout lucide et digne, ce choc le projettera au travers du miroir des reflets de la réalité qu’on devrait appeler : état de ne pas vouloir sortir de l’inconscient. MAIS : ne pas être conscient n’est PAS possible ! Tout être « animé » est conscient, mais ne veut (ne peut) pas toujours s’en rendre compte. Les anciens nommaient cet état : appartenir à l’espèce «du bétail des dieux» (qui n’a pas d’âme), plus tard cela se traduira par l’expression « l’homme animal machine».

A l’époque (cf. Malebranche) de cette dernière expression dénigrante, l’évolution avait déjà atteint l’ère de Newton et de l’approche technocratique du savoir dont actuellement ON essaye de se libérer. Se libérer afin de trouver quoi ??? Voici quelques indications : Grâce à la méthode de ces équations – moyennant laquelle le physicien est capable de tenir le coup (dans la vie) malgré cette vision du rien Bouddhique face à l’existence – le physicien, lui, vit une vie comparable à ce qu’on appelle « le sentiment océanique du mystique ». Grâce à ces équations, il est en capacité de ne pas trop s’inquiéter pour ce qui est «du bureau d’ombre d’Eddington recouvert du voile de Maya».

Le vrai peintre, aussi, vit dans ce sentiment mystique, mais lui, il y vit DIRECTEMENT et A L’INSTANT (Huang Po) «en dedans des choses» de façon relativement absolue. Comme un vrai peintre est quelqu’un de « l’ordre de l’imagination créatrice » (cf. Soufi) il «figure» vraiment quelque chose de ce qui lui vient « through the looking glass ». Autrefois on aurait dit qu’il possède le troisième œil… et qu’il peint ce qu’il "voit" (Cézanne).

Finalement c’est quoi cette histoire ?… la réponse est très très simple : c’est vivre consciemment sa vie au quotidien, consciemment dans un état mental aussi intense et divers tel qu’on le subit dans le rêve. « La force du rêve» met l’homme dans un état d’empathie tel qu’il est « détaché » de son identité ordinaire directe… c’est comme si TOUT ce qu’il rêve est devenu son « moi». Le peintre se trouve dans un état absolument semblable à l’état dans lequel il VIT ses rêves »… le peintre est devenu peinture et ça se peint tout seul. Le mot « intellegĕre » veut dire « voir (et vivre) en-dedans des choses » (ce mot « intellegĕre » est la racine du notre mot « intelligence »). Le rêveur répond à cette désignation de façon absolue parce qu’en rêvant il est devenu tellement la chose même qu’il se trouve DÉJÀ dans le « religĕre » absolu. Là, il se trouve dans l’état du merveilleux pouvoir d’avoir pu inventer DIEU (ce qui n’existe pas). C’est le point extrême du possible de l’intellegĕre… c’est même «au-delà».… Dieu n’a PAS de nom ! Cet état extrême, les mystiques l’appellent « le non-savoir ». Les Soufis disent : « la mort est un réveil avant lequel tu es comme quelqu’un qui rêve qu’il s’éveille ». Ce que le Soufi tend à nous faire comprendre est qu’il existe un domaine transcendant dans lequel notre «perception du vécu» a bien accès grâce à un état d’éveil mais que ce domaine est un égrégore dans lequel on lâche prise de tout ce que l’on s’assure pouvoir connaître donc que l’on «re-connaîtra» seulement au moment de mourir… une peinture vraie est une transmission de cette re-connaisance.

Il existe pourtant maintes expressions qui nous mettent ce domaine en mémoire (le UN dans le tout, le tout qui est en tout, le numineux… l’éternité dans cette fraction de seconde du moment de mourir – c’est à dire «la vie éternelle» du non-temps – dans lequel se situe le «jugement dernier» de la toute dernière « compréhension » au-delà de toute compréhension… qui nous fait, enfin, «voir» si nous avons accepté notre côté divin ou si nous avons vécu dans l’abrutissement de l’accélération diabolique des hallucinations).

ET l’innommable dans tout ça ?… En essayant de « raconter un rêve» on peut constater qu’on éprouve une énorme impuissance face au réel du vécu dans le rêve,… et combien peu de pouvoir ont nos idées et nos mots face à ce réel du rêve. ET : on est tout à fait persuadé que dans le rêve on a vécu autrement. Tout ce que, en rêve, on voit, on sent, on aperçoit, on vit, on pense… est beaucoup plus chargé, plus dense, plus prégnant, plus convainquant et plus conscient que le vécu dans l’état d’abrutissement de l’être, dans lequel cet être vit sa vie au jour le jour, a-liéné de tout intellegĕre-religĕre comme « un google-cyborg», il vit tel que le système du monde le fait vivre dans un état où « la force du rêve» ne peut avoir lieu… sauf risque de dérangement mental… la différence est trop grande entre le quotidien et le transcendantal.

Ce que l’homme sent est égal au désarroi dont il s’aperçoit quand il raconte un rêve. Il est impossible d’égaler en mots « cette réalité-rêve». Cette réalité ne se situe PAS dans l’ensemble de mots que l’on emploie pour évoquer le rêve. Cette REALITE se situe – au-delà des mots et du "savoir" – dans une sorte d’ensemble magnétique (l’universel galvanisme) dans lequel les notions du temps (et de l’espace) sont tout autre que la notion "temps humain" (l’horloge)… Et pourtant le cerveau (l’esprit de Jung ?) est capable de "supporter" cette qualité de la réalité quasi sur-humaine… tout comme il est capable de supporter (jusqu’à une certaine limite) son invention de Dieu et de sa propre hyper-conscience. Quant à en faire des simulacres de racontars (Freud et Cie c-à-d la vulgarisation) … il semble… que rien n’est plus absurde ! Le vrai peintre, lui, il vit vraiment dans les énergies de la « vivance et voyance» en soi. Il n’y a donc pas de mystère derrière tout CELA, ni de faux mysticisme, ni de dépassement feint, ni de simulacre, ni l’image de quelque chose… NON ce n’est pas tout cela, ce n’est pas des racontars… C’EST L’EN-SOI PICTURAL FIGURATION AUTRE ! Ceci se situe loin de l’état de déphasé vécu dans la situation schizophrénique dans laquelle vivent les célébrissimes des performances du contemporanéisme… NON ! ce ne sont pas des dépassements !… ce ne sont que des aberrations magie noire dévalorisant toutes les valeurs, ce ne sont que des dépravations issues de la maladie mentale ou de l’érotisme criminel absorbant la belle force vitale. La voyance dont nous parle Rimbaud est toute autre, c’est l’état dans lequel VIT quelqu’un qui continue consciemment a développer son individuation en grimpant l’échelle de Jacob (aurait-on dit autrefois) afin d’atteindre finalement – souvent par un long détour dans la diversité des rêves de jour et de nuit – une courbe plus élevée de la spirale des «entendements» (il devient akousmatikoï… il devient humain… « tel qu’en lui-même enfin l’éternité le change» (Mallarmé)).

MAIS, LE PEINTRE, LUI, IL PREND UNE VOIE BEAUCOUP PLUS DIRECTE. Ainsi est-il – puisqu’il existe des rêves merveilleux – qu’il est possible que les « forces du rêve» éveillent en lui immédiatement (Huang Po) cette qualité mystérieuse de ce grand lyrisme (mystique) des correspondances oniriques ! Pour le peintre, ces correspondances se traduisent, en direct, de façon « nouménal merveilleux » dans la peinture de la Figuration Autre, signifiant ce qu’Epicure désigne par le mot « clinamen ». Le clinamen : cela "tombe bien". Le clinamen tombe juste un tout petit peu merveilleusement à côté des nécessités de ce qui, dans le système, régit le destin des hommes. Le clinamen c’est ce qui est perdu pour le monde, c’est ce qu’on retrouve dans le symbole du « petit garçon tout nu » (Eckhart) ou dans la sagesse de Jean de la Croix « ce je ne sais quoi que l’on atteint d’aventure ». Figuration Autre est en premier lieu un « en soi pictural » qui nous fait vivre (si on est capable de "lire" cette peinture !) des « situations » de désignations qui ne trouvent pas leurs racines dans la rationalité (bien scientifique) mais plutôt, enfin, dans l’éveil de l’INitiation et de l’intuition ab-origines (Artaud disant que Van Gogh nous montrait les forces originelles de la nature). Voilà pourquoi cette peinture n’est pas du tout, mais alors pas du tout, compatible avec la science.

Les «anciens», posant l’IN-itiation avant TOUT, qualifiaient la création des beaux-arts comme simulacre (suite à tout ce par quoi elle est IN-spirée) prise pour « du vrai » à la place du presque innommable des valeurs intrinsèques… le simulacre des hallucinations n’a PAS droit de cité chez l’ancien. 

Il y a un « monde » au-delà de ce monde factice ! Et, le peintre-peintre de la Figuration Autre, lui, il y a droit de cité !

A la lumière du retour de l’abstraction il faut MAINTENANT faire le constat que cette PEINTURE Figuration Autre se trouve éternellement occultée par ceux qu’on appelle les décideurs de l’art… mais elle fut toujours sous-jacente dans ce que l’on peut trouver dans ce qui est à peine connu ou ce qui est déjà bien connu (au moins à la trace) sans que l’on ait voulu s’en rendu compte.

MAIS cette peinture «Figuration Autre» n’est pas une abstraction parce qu’il y a là des présences très prononcées d’une figuration que l’on ne connaissait pas encore mais qu’on reconnaît à partir du moment même où on l’a "vue"… « asob es schon immer dagewezen were » (Goethe) et elle n’est nullement semblable à tout le figuratif que l’on connaît déjà. Par conséquent on se demande ce qu’est finalement ce «ni l’un ni l’autre». De quel monde cela relève-t-il? Est-ce le NUMINEUX de l’innommable ? Néanmoins… CELA SE MANIFESTE quand même. Cela nous met devant ce que l’on peut qualifier d’archétype.

Il y a des propos qui arrêtent la galopade du temps. «Through the looking glass» et «le troisième œil» en sont des exemples, tout comme l’expression « figuration autre ».

MAIS évidemment cette figuration autre est « un en soi pictural» loin de toutes les fantaisies de Lewis Caroll ou de celles du surréalisme ou de l’occultisme. Cette peinture-peinture «Figuration Autre» – exempte de paroles – est-ce «ce je ne sais quoi que l’on atteint d’aventure» évoqué par Jean de la Croix ?? Les peintres « Figuration Autre » présentent-ils dans leurs œuvres les ARCHETYPES du monde de «l’en soi pictural» ?

Dans les années 1960-70 dans les galeries à Paris nous avons connu les fameuses disputes à propos de la question « un art autre». Ces mots nous viennent de Michel Tapié (les années 50). A propos de cette dispute, il y a lieu d’avancer ce qui suit : « avant de créer un art autre il faut qu’existe un homme autre, qui, évidemment, créera une figuration autre». Figuration Autre… ELLE a donc sa source dans ce qui n’a PAS encore trouvé sa place exacte dans l’histoire de l’art… c’est donc un art de l’avenir !

Le contemporanéisme – décidant (depuis la fin des années 1950) que la peinture de chevalet est morte – a régné, jusqu’à présent, en maître absolu, occultant TOUT, occupant TOUTE la place (tel que le fit le pompiérisme) et nous a remâché des souvenirs DADA. Ce contemporanéisme, ce simulacre suite d’une politique culturelle fausse, fut d’une infernale injustice… monnayant à l’extrême les créations des uns (ceux du «tel nom tel lien») mais pour ceux n’appartenant pas à ce « happy few» cette politique du simulacre méprisa leurs productions qui étaient l’équivalent ou l’alternative des créations de ceux qui furent consacrés (n’est-ce- pas que tout le monde est créatif?).

Quant à la peinture « Figuration Autre» le temps est venu où l’homme « lira » de façon aussi évidente ces peintures-là, tout comme il s’est habitué autrefois – de façon tout à fait évidente – à reconnaître les valeurs figuratives. Cet homme – tout comme l’est le peintre – lui, il sera AUTRE ! »